En direct de Madrid !!!

Holà Chicos,

Nous voici à Madrid pour couvrir le congrès européen de cancérologie ESMO 2023.

Un programme alléchant avec la part belle aux nouvelles approches thérapeutiques que constituent l’immunothérapie (IT) et le développement des anticorps drogue-conjugués (ADC). L’actualité de la cancérologie nous réserve des surprises car il n’y a pas si longtemps, on assistait à une forte baisse des traitements par voie IV au bénéfice des formes orales. Nous en avons tous été témoins avec l’offre grandissante de thérapies ciblées orales. Certains même pensaient à une réduction drastique de l’hospitalisation de jour. Eh bien, il n’en est rien avec l’avènement de l’IT et des ADC. Ainsi la part réservée aux thérapies orales est en nette diminution. La conséquence est l’apparition de nouvelles stratégies thérapeutiques dans de nombreuses localisations nécessitant une appropriation des nouveaux profils de toxicités engendrés par les IT et les ADC.

Cette année est historique pour l’officine française car pour la première fois, nous arrivons à Madrid avec une communication sous la forme d’un Poster dans un tel congrès regroupant près de 27 000 participants. C’est une magnifique reconnaissance pour notre profession. Nous présentons la certification OncoPharma® des pharmacies françaises pour l’accompagnement des personnes atteintes d’un cancer à l’officine.

L’aboutissement de 3 années de travail et la rédaction de deux référentiels, OncoPharma® et le référentiel AFSOS.

Bonne lecture.

Dr. Jérôme Sicard & Dr. Fabrice Véron

Supportive care in French community pharmacies: OncoPharma certification. Sicard J. et al

Le référentiel de certification de service OncoPharma® est l’aboutissement d’un travail de 3 années entre la rédaction et la certification effective des premières officines françaises.

Ce travail est le fruit d’un travail interdisciplinaire abordant l’ensemble des univers des sciences pharmaceutiques officinales. Ce projet a pu être réalisé grâce au TotumLab, fond de dotation, le laboratoire Biogaran et la société d’audit SGS ainsi que la participation de la SFSPO.

L’objectif de ce travail est de pouvoir monter en compétence l’ensemble des pharmacies françaises à hauteur de ce que chacun souhaite faire. La certification n’est pas une fin en soi, elle permet d’avoir un cheminement validé afin d’assurer une prise en charge optimale des personnes atteintes d’un cancer par l’équipe officinale.

La structuration de l’oncologie en France a débuté début des années 2000 avec le 1er plan cancer. Depuis un long chemin a été parcouru pour faire de la cancérologie française , un modèle au niveau mondial. Dans ce contexte, il est donc impérieux au travers d’une certification de services, de pouvoir à notre tour, harmoniser nos pratiques afin de proposer un égal accès à une qualité de prise en charge multidimensionnelle (accueil, dispensation, conseils, services…) sur l’ensemble du territoire.

Le référentiel de certification de service en oncologie à l’officine OncoPharma® s’articule autour de 14 caractéristiques opérationnelles pour lesquelles des délivrables précis sont attendus.

      1. Optimisation de la compétence des équipes tout au long du parcours par un enseignement adapté
      2. Mise en place des entretiens pharmaceutiques
      3. Identification, coordination et communication au sein du premier recours
      4. Repérage de la souffrance psychique
      5. Dispensation des thérapies orales, prévention et gestion des interactions et des effets indésirables
      6. Education thérapeutique du patient
      7. Identification des compétences, communication et égalité d’accès aux SOS
      8. Promotion de l’activité physique adaptée
      9. Sensibilisation au risque thrombo-embolique
      10. Gestion de la douleur
      11. Gestion de la dénutrition
      12. Patients complexes, soins palliatifs, HAD/MAD
      13. Mesure de la qualité de service liée à l’accompagnement des patients sous traitement anti-cancéreux
      14. Agencement et communication à l’officine

Ce référentiel a été validé en juin 2022 par le COFRAC.

Nous avons accueilli pour cette année 2023, deux des rédactrices du référentiel OncoPharma® et du référentiel AFSOS.

Il s’agit des Dr. Hélène Valque (Pharmacie Valque certifiée OncoPharma® -Beaurain) et du Dr Sophie Colonna (Pharmacie Colonna – Ajaccio). Un grand merci à elles pour leur travail et leur disponibilité.

SGS. Accompagnement par l’équipe officinale des personnes atteintes de cancer. Référentiel de certification de service. Juin 2022. www.sgsgroup.fr

Sicard J. et al. Accompagnement du patient atteint de cancer par l’équipe officinale. Association francophone des soins oncologiques de support. Juin 2022. www.afsos.org

Entretien avec le Pr F. Goldwasser (Oncologue Médical – APHP Cochin Paris) et le Dr Florian Clatot (ORL-Centre H. Becquerel Rouen)

Comme chaque année, nous essayons d’échanger avec des oncologues sur la place des officinaux dans le parcours de soins et dans la relation Ville-Hôpital-Ville.

Nous avons eu la chance de pouvoir partager un moment riche d’information avec le Pr François Goldwasser et le Dr Florian Clatot sur la thématique de la nutrition.

Nous avons abordé le sujet par l’usage de la balance. En effet, en fonction de leur expérience, les patients sont plus ou moins pesés à chaque consultation. Le poids peut être du déclaratif. Ainsi il semble important que dans nos officines, nous puissions disposer d’une balance et proposer aux patients un suivi pondéral hebdomadaire.

La réalisation d’une pesée quotidienne n’a aucun sens, la variation de poids quotidienne pouvant aller jusqu’à plusieurs kilos. La mesure du poids est donc un enjeu de taille dans nos organisations et c’est la variation de poids qui sera le critère à prendre en compte.

Le suivi diététique est primordial dans les cas de malnutrition ou de dénutrition. Le rôle des diététicien(ne)s est majeur permettant d’assurer une stabilisation du poids à l’aide notamment des compléments nutritionnels oraux (CNO).

Le Dr Florian Clatot nous confirme de l’efficacité de cette prise en charge à partir du moment où le traitement oncologique est lui-même efficace. Il sera difficile de rétablir une situation nutritionnelle dégradée si en parallèle, le traitement cytotoxique n’est pas efficace.

De par son expérience, le Dr Clatot attire notre attention sur les cancers ORL et la représentation que nous en avons. En effet, actuellement près de 80% des cancers ORL sont liés à une infection par HPV. Seulement 20% des cas concernent les personnes alcoolo-tabagiques issus majoritairement d’un milieu socio-économique défavorisé.

La place de l’alimentation entérale est très importante pour ces patients avec toute la charge psychologique à gérer pour vivre avec une sonde ou une stomie. La stomie ayant un impact moindre sur l’image de soi par rapport à l’impact social de la sonde naso-gastrique.

Nos deux médecins ont bien consciences de la faible observance des patients vis-à-vis des CNO. La peur de la sonde est un facteur stimulant pour la bonne prise des CNO. Les raisons sont multiples mais pas toujours connues des médecins. Ce fût l’occasion de partager à le sujet notamment sur les quantités à absorber, le moment de prise (plutôt le soir avant de se coucher), la place de la complémentation par rapport à l’alimentation générale. Nous avons également abordé la manière dont les patients gèrent le transport des packs de CNO ne facilitant pas l’observance.

A cela s’ajoute la place de l’aidant. En effet, il sera toujours bénéfique d’avoir un proche en soutien notamment pour cuisiner des plats adaptés. La solitude est un facteur péjoratif pour une bonne reprise nutritionnelle.

Nous avons également parlé du coût énergétique du cancer. C’est une notion que nous n’avons pas forcément en tête à savoir qu’une tumeur très évolutive va consommer près de 5000 kcal. Cela constitue donc un défi pour les soignants de maintenir un poids stable dans ces conditions d’où la nécessité d’une prise en charge thérapeutique efficace pour être synergique avec les apports nutritionnels.

Le Pr Goldwasser travaille sur le sujet de l’efficacité de l’immunothérapie en fonction du statut métabolique des patients.

En effet, l’avènement de l’immunothérapie (IT) transforme le paradigme de la prise en charge en se focalisant désormais sur les spécificités de l’hôte pour obtenir pleinement l’efficacité de la thérapie. Ainsi, un traitement par immunothérapie va relancer la fonction immunitaire du patient. Cette relance a un coût énergétique. Certains patients ont un profil hyper-métabolique. Pour ces patients l’efficacité de l’IT est significativement inférieure aux patients présentant un profil normo- ou hypo-métabolique. Noel J. et al. Association of Energy Expenditure and Efficacy in Metastatic Renal Cell Carcinoma Patients Treated with Nivolumab. Cancers. 2022 Jul; 14(13): 3214

Pour ces patients, une prise en charge nutritionnelle précoce est essentielle pour obtenir une pleine efficacité de l’IT.

Ces échanges interprofessionnels sont toujours très riches. Nous pourrions passer des heures à partager nos pratiques. Nous remercions le Pr François Goldwasser et le Dr Florian Clatot pour leur disponibilité et leur gentillesse ainsi que le laboratoire Nutricia.

Session Fatigue

In collaboration with the MASCC – The multiple faces of fatigue in the cancer ecosystem. Ruhlmann C. et Scotté F.

La fatigue est le principal effet indésirable que tous les patients traités pour un cancer, vont exprimer au cours de leur parcours.

La définition de la fatigue est bien établie en s’appuyant sur le fait qu’il s’agit d’un symptôme plurifactoriel, subjectif faisant intervenir des aspects physiques, émotionnels, cognitifs et interférant dans le quotidien des patients. Fabbi A. et al. Cancer related Fatigue : An ESMO definition. Annals Oncol 2020

La fatigue apparait à tous les stades de la maladie, dès le diagnostic (40% des cas), pendant les traitements (80-90% durant la chimiothérapie +/- radiothérapie) ainsi que pendant la phase de rémission (20-50%) allant à plus de 5 ans. Thong M. et al Cancer-Related Fatigue: Causes and Current Treatment Options. Curr. Treat. Options in Oncol. 2020. 21 :17

Les mécanismes qui supportent la fatigue sont multiples :

  • Des facteurs cliniques avec les comorbidités (Anémie, diabète, cardio, psy…), les traitements (anti-dépresseurs, béta-bloquants…) et les traitements du cancer avec leurs effets indésirables.
  • Des facteurs moléculaires et physiologiques intégrant une atteinte du système nerveux central (inflammation, axe hyothalamo-hypophysaire…) et du système nerveux périphérique (réduction du métabolisme énergétique).
  • Des facteurs psychologiques et comportementaux associant anxiété, dépression, impact psycho-social, peur de la récidive…
  • Des facteurs de risque génétiques

On peut résumer cette approche par les 3P : Facteurs Précipitants, Prédisposants, Prolongant

Sleight A. et al. A New Approach to Understanding Cancer-Related Fatigue: Leveraging the 3P Model to Facilitate Risk Prediction and Clinical Care. Cancers (Basel). 2022 Apr 14;14(8):1982

L’évaluation de la fatigue repose sur un ensemble d’items intégrant l’anamnèse thérapeutique et personnel, les facteurs environnementaux et l’ensemble des facteurs pouvant être pris en charge et contribuant à exacerber cette sensation de fatigue.

Cette fatigue touche également les professionnels de santé qui sont au chevet des patients allant jusqu’à des situations de burn-out. Punie K. Fatigue in health care professionals: Another term for burnout?

En Europe, 71% des jeunes oncologues montrent des signes de burn-out. Banerjee S. Professional burnout in European young oncologists: results of the European Society for Medical Oncology (ESMO) Young Oncologists Committee Burnout Survey. Ann. Oncol. 2017. 28 : 1590-96.

En cause, des facteurs liés au travail et des facteurs extra-professionnels. La conséquence est une baisse de la performance au travail : concentration, analyse, prise de décisions, vigilance, mémoire, contrôle des émotions, appréciation des situations complexes, communication, coordination des mouvements…

On retrouve des symptômes similaires à ceux d’une prise excessive d’alcool…

La fatigue est le produit de la charge de travail et le facteur de risque et symptôme du burn-out. Fatigue et burn-out sont intriqués en fonction du niveau de stress. Le passage de la fatigue à l’épuisement étant souvent lié au niveau de stress associé.

Les facteurs de risque du burn-out sont connus :

  • Patient jeune
  • Temps de travail long
  • Célibataire
  • Faible appréciation et satisfaction au travail
  • Manque de vacances
  • Manque de personnel
  • Lieu géographique de travail
  • Difficultés en dehors du travail

A contrario, l’accès à un programme de soutien, un bon équilibre entre vie active et vie personnelle et la satisfaction dans son travail sont autant d’éléments protecteurs du burn-out. Yates M. Burnout in oncologists and associated factors: A systematic literature review and meta-analysis. Eur. J. Cancer Care. 2019. 28(3).

La prise en charge passe principalement par la pratique d’une activité physique.

Les nouvelles classes de traitements n’ont pas toutes les mêmes impacts sur la fatigue. Les thérapies orales inhibiteurs du CDK 4/6 sont à l’origine de fatigue pouvant être gérer par la réduction de la dose et la modification du plan de prise. A contrario, l’immunothérapie ne semble pas avoir d’impact significatif sur la fatigue en dehors des effets indésirables. Cependant, les combinaisons avec l’immunothérapie augmentent le risque de fatigue.

En conclusion de cette session, on s’aperçoit que les données récoltées dans les essais cliniques sont loin de la réalité de la vie courante. La sous-estimation de la fatigue est quasi systématique dans les essais cliniques. Les questionnaires validés n’arrivent pas à illustrer l’incidence de la fatigue (celle-ci étant éclatée dans différents items : fatigue, anxiété asthénie…) et surtout ne la caractérise pas suffisamment, ne permettant pas de réfléchir à des outils de remédiation adaptés et personnalisés. Nous parlons toujours de la fatigue comme un tout alors qu’elle est hautement hétérogène.

La recherche française récompensée

Ce vendredi 20 octobre 2023, entrée en matière prestigieuse pour la session d’ouverture du congrès de l’association européenne en oncologie ESMO qui se tient cette année à Madrid, avec la signature d’un accord pour les 10 prochaines années entre l’ESMO via son Président Andrés Cervantes (Valencia, Spain) et Dr Bente Mikkelsen (Geneva, Switzerland) représentante de l’ organisation mondiale de la santé (OMS) afin de continuer à développer dans de nouveaux pays l’accès à de nouvelles thérapeutiques anticancéreuses et des structures de prise en charge.

Et une vraie fierté nationale, Isabelle Ray-Cocquard, du centre lyonnais Léon Bérard (université Claude Bernard) a reçu le Prix ESMO 2023 pour ses brillants travaux : elle a exploré depuis de nombreuses années les cancers rares et la possibilité de croiser ses résultats sur tous les types de cancer. Sa présentation, intitulée « la beauté de la rareté » a marqué les esprits par son originalité et sa poésie : en effet, par exemple, 45 à 50% des cancers ovariens sont rares de par leurs profils moléculaires très différents et nous éclairent sur les mécanismes de résistance des cancers standards.

Dissecting the Origin of Heterogeneity in Uterine and Ovarian Carcinosarcomas Cancer Res Commun. 2023 May 10;3(5):830-841.

Integrative Pan-Cancer Genomic and Transcriptomic Analyses of Refractory Metastatic Cancer Cancer Discov . 2023 May 4;13(5):1116-1143. doi: 10.1158/2159-8290.CD-22-0966.